mardi 17 juin 2014

N come nocturne



15/6/14
N comme nocturne.

Le temps marchait trop vite: j'ai trébuché sur le N.
Hier, enfin, quelque chose. Une idée. Ou même pas. Juste une impression fugace, légère.
Puis quelque chose de plus volontaire.
Prendre la route, par exemple. Soleil, chaleur.
Mais dire non à la clim.
Rouler la fenêtre ouverte. Comme avant.
Le vent dans les cheveux, écouter une vieille cassette de Nocturnes de Chopin.
S'arrêter quelque part.
Suivre un chemin incertain, dans les bois sombres de Clécy. Se perdre un peu. Hésiter.
Non, il n'y a personne, ici.
Écouter le frémissement des feuillages. Ce silence de l'ombre. Cette nuit verte.
Entendre, puis guetter l'éternelle question d'une chouette. Celle qui interroge le visiteur discret de son chant nocturne, lancé en plein jour.
Goûter cet instant solitaire, infini, paisible.

mercredi 30 avril 2014

J K L M



14/4/14
J comme Jeu. Ou J comme Je.
Parlons du Jeu, d’abord. Celui que je soupçonne autour du petit pré d’Hermanville, à propos de ce chien-momie…Je suis retournée par là, comme ça.
Je n’avais pas du tout envie de retrouver l’animal, mais c’est encore lui qui m’a intriguée. Presque hélée.
J’ai vu, je suis passée, et j’ai fait demi-tour pour vérifier ce que mes yeux et mon cerveau m’avaient communiqué.
Oui, l’animal trônait toujours sur la pelouse, avec son poil mité, avec ses yeux qui n’étaient plus seulement morts, mais crevés.
Mais le plus bizarre, c’était les plumes. Attachées dans sa gueule, un groupe de grandes plumes blanches plantées en travers. Idem à la queue. Tout cela ligoté avec de la ficelle bleue, vous savez, de la ficelle à ballots de paille.
Non, cette chose bizarre n’est ni oubliée, ni abandonnée, on vient même l’ornementer. Pourquoi ? Cet épouvantail possède probablement un rôle, celui d’effrayer quelque animal, voire quelqu’un ?
Ou s’agit-il d’un jeu étrange ? Car quel animal croirait voir ici un congénère, habillé de cet absurde bouquet de plumes planté sur sa queue ?
Un vieil homme est passé, sur son vélo, pendant que je dévisageais l’objet.
Il m’a semblé lire dans ses yeux une sorte d’amusement, un peu narquois. Est-ce cet homme qui joue à intriguer les passants ? Est-ce le fruit de mon imagination ?

J comme Je.
2014 est une année particulière pour moi. Il me semble que j’ose enfin m’affirmer, au lieu de douter, sans arrêt. Au lieu de m’effacer, de perdre confiance en moi à la moindre anicroche. Par exemple, voici quelques semaines, je me suis lancée dans une activité bénévole de donneuse de voix. Il s’agit de lire et d'enregistrer des livres, pour des personnes aveugles.
Et c’est étonnant, c’est nouveau comme ils disent (mais là, c’est exact !) car je suis d’ordinaire bien silencieuse, lorsque je me trouve dans un groupe. On ne m’entend pas, car j’écoute les autres. Partout. On me dit sérieuse, réservée, discrète. Évidemment. Les autres prennent toujours tant de place…Connaissent-ils seulement le son de ma voix ?
Lorsque je lis un livre pour un auditeur inconnu, c’est bien ma voix qu’il entendra. Pas une autre…Curieusement, cette situation me fait découvrir à moi-même ma propre voix. Eh bien, moi, je la trouve pas mal, finalement, cette voix. Je suis plutôt contente de moi, et ça change !
J comme Je.
D’ailleurs, à l’issue du test de donneur de voix, ma voix a été acceptée aussitôt, mais on m’a suggéré, ou demandé d’accélérer le rythme. Car je serais un peu lente. Nouvelle anicroche. J’ai tourné et retourné cette critique dans ma tête, cette difficulté de lenteur pour, au bout de mes interrogations, rendre mon enregistrement, lent comme il doit être, en prenant les devants sur la question du rythme. J’ai dit : « Vous trouverez peut-être cela un peu lent. J’ai fait de mon mieux. Mais ce n’était pas possible d’aller plus vite, cela n’aurait pas eu de sens, pour un livre tel que celui-là ».
Une façon de dire : « C’est lent, mais j’ai raison d’être lente. Je ne vais pas lentement parce que je ne peux pas aller plus vite, mais parce que c’est ainsi que je veux et que je dois le lire »
Je crois que je grandis, enfin.
J comme Je.
Petite discussion avec D sur le sujet. Il prononce cette phrase mémorable:
"Si quelqu'un vous dit ce qu'il a vécu, comment pourrait-il ne pas vivre ce qu'il vous en dit?
J'ai applaudi.
NB : je viens d’acheter un livre de P. Pelot. Le titre : « Elle qui ne sait pas dire je ».


K comme Kapuściński
Copie rendue à la bibliothèque sonore : ma première lecture, Porte de Champerret.
J’ai proposé, pour la suivante, durant cet été, Ébène, de Ryzsard Kapuściński. L'idée m’est venue comme ça, une sorte de flash, évident, immédiat, indiscutable. J’avais tant aimé le livre.
Idée adoptée aussitôt, zéro discussion. Reste à trouver comment prononcer Kapuściński … 

24/4/14
L comme ML…
Pas très inspirée ces temps-ci. Petite discussion avec ML. Dont j’ai envie de me souvenir.
Nous évoquons les pots de retraite des collègues, toujours plus nombreux à nous quitter. ML juge ces petites cérémonies agaçantes parce que peu sincères. Pas assez. On enjolive, on fait abstraction des erreurs, des coups tordus. Trop, à son goût. Il dit que les gens arrivent à la retraite sans avoir rien compris. N’ont pas tiré la leçon.
Il dit : ils ont fait un tour complet, mais maintenant il faudrait qu’ils recommencent.
Quand il dit cela, il pense aussi à ses parents, âgés.
Mais de quelle leçon parle-t-il ?

Alors il parle des ballots de paille.
Cette expérience d’apprentissage de la conduite dans des conditions difficiles. Une piste étroite circule entre des ballots de paille. La première fois, tous les stagiaires percutent les ballots de paille. Ensuite le moniteur leur dit : vous allez reprendre la piste, mais vous ne regarderez que la piste devant vous, pas les ballots de paille. Et ça marche.
Ils regardent droit devant eux. Ignorent les obstacles. Et tous réussissent.
Son histoire me trouble. Il me semble que depuis le début je n’ai vu que les ballots de paille.

Il parle aussi du cadre. Ce qu’il a retenu d’un stage portant sur l’animation de groupe. Une seule chose. Quand on anime une réunion, une formation, il faut définir un cadre. Il y a les propos dans le cadre, et ceux hors cadre. On se prépare à tout ce qui est dans le cadre, mais on n’a pas besoin de répondre à tout le reste, ce qui est hors cadre. Il faut donc accepter qu’il y ait les deux, dans une séance collective. Mais discerner aussi rapidement où se trouve chaque élément apporté par le groupe, pour éviter de se perdre dans des dédales inutiles, et surtout ne pas rater une interrogation importante, une confusion de fond, un levier de compréhension.

J'aime parler avec ML.

29/4/14
M comme Mémoire
Autour de moi, la mémoire est un éternel sujet de conversations, et surtout de lamentations. Nous vieillissons tous. Nous radotons. Et nous perdons la mémoire. Untel oublie les prénoms ? Moi-même, je cherche des noms de collègues, de lieux. Je mélange des époques, j’hésite. Je dois reconstituer l’histoire pour identifier un séjour de vacances vieux de dix ans, voire moins. Puisque le processus semble s’accélérer depuis un an ou deux, j’ai voulu prendre le contrepied de cette sournoise dégradation. Comment ? En reprenant des études. Car pour garder la mémoire, il faut travailler, s’exercer sans relâche. Comme le sport, comme la musique. J’ai donc repris des études de latin. Quoi, une langue morte ?
Nous préférons dire une langue « ancienne ».
Et pour quoi faire ? Elle me servira à décrypter de vieux textes rédigés en latin, pas toujours disparu après l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Et puis le latin, c’est souvent presque du français. Du vieux, et aussi du neuf, en comparaison des anglicismes qui nous envahissent. Des néologismes ; des mots moches. Pour le plaisir de la langue, donc.
Pendant cette première année, l’étude ne m’a pas semblé bien difficile…mis à part le vocabulaire qu’il faut apprendre par cœur. Car c’est bien là que le bât blesse. J’apprends, j’apprends, mais j’oublie encore mieux qu’avant. Ma dernière recette consiste à écrire en vrac sur une feuille de papier tous ces « vilains » mots que j’ai oubliés. J’espère que cela va marcher.
Car ça urge. Le partiel c’est le 9 mai… et ça je ne l’oublie pas.

jeudi 3 avril 2014

I comme Invisible



03/04/14
I comme Invisible.

La généalogie m’a un peu abandonnée ces temps-ci, ou bien c’est l’inverse, j’oublie mes ancêtres alors que, l’an passé, chaque soir je leur consacrais un moment, les guettant au fil des pages de registres parfois indéchiffrables…Ils sont restés discrets, dans un coin de mon esprit, invisibles par définition.
Sur les chemins d’Internet je rencontre aujourd’hui une blogueuse, qui s’est fixé pour objectif d’écrire l’histoire de ses ancêtres, mais qui s’accroche plus particulièrement à un vrai défi : écrire à propos de ceux dont il y a rien à dire, ceux qu’elle nomme justement les Invisibles.
Il s’agit de ces ancêtres journaliers, manouvriers, même pas laboureurs, personnages obscurs et sans histoire pour lesquels on n’a trouvé aucun élément marquant à raconter à leur sujet. Car ce ne sont ni des nobles, ni des bourgeois, ni des notables, ni des soldats, ni des voyageurs, ni des brigands, ni des enfants trouvés. Rien pour les détacher du reste du monde. De pauvres gens, sûrement, très simples, originaires d’un village, où ils sont restés toute leur vie. On connaît leur lieu et date de naissance, le lieu et la date du mariage, le nombre des enfants nés du couple, le lieu et la date du décès. Et il s’agit donc, presque toujours, du même lieu.
Quasiment tout le monde a des Invisibles dans sa généalogie, mais nul n’en parle. Car quoi dire ?
Pourtant c’est une bonne idée, de vouloir les associer, eux aussi, à l’histoire d’une famille, ces sans-grade. N’en font-ils pas partie au même titre que les autres ?
Ce seront les Invisibles qui donneront le plus de travail au généalogiste obstiné. Pour ramener, peut-être, quelques anecdotes, certes ni glorieuses, ni extraordinaires, mais pittoresques, il faudra probablement étudier de nombreux documents notariés, mener des investigations laborieuses, pour reconstituer, par exemple, leur patrimoine. De quoi s’occuper pendant des mois, voire des années.

Le généalogiste passionné adore une telle montagne à gravir. Car quand il saura tout, que fera-t-il ?
Chez moi, je n’ai que cela, des Invisibles. Ou presque. Un laboureur peut-être, quelques meuniers ou vignerons, un chantre, un facteur, un « mauvais sujet » porté sur la bouteille qui partit en Allemagne pour se faire oublier…et toute une foule de manouvriers. Je peine à trouver là-dedans quelque histoire compliquée. Je note surtout des manques, des trous. Ils ne sont pas seulement Invisibles, ils sont souvent Inconnus.
Je sais qu’il me faudra une autre vie, voire une vie entière, pour rassembler quelques faits particuliers capables d’illustrer leur existence, de la rendre concrète. De donner un peu de couleur à tous ces Invisibles. De peindre une petite touche de bizarrerie dans ce tableau si ordinaire.

jeudi 27 mars 2014

H comme heure



27/3/14
H comme heure

Nous changeons d’heure deux fois par an depuis des lustres. A chaque tour de cadran pour remettre nos pendulettes à l'heure de tout le monde, les questions éternelles surgissent « Faut-il avancer ? Faut-il retarder ? »
Les critiques réitérées jusqu’à l’écœurement s’égrènent dans nos marronniers : « Et les bébés ? Et les enfants ? Et les personnes âgées ? Et les vaches ? » etc.
Mais rien n’y fait, et tout le monde le sait.
Non, non, on ne s’en lasse pas…
Le passage à l’heure d’été reste le plus compliqué, il faut subitement se lever une heure plus tôt, donc se coucher plus tôt, voire dormir une heure plus tôt.
Et ce n’est pas si facile que ça.
Cette année, nous avons donc voulu nous appliquer, jouer aux bons élèves. Partis pour un séjour de neige dans notre petit paradis, la météo un peu trop clémente pour profiter d’une neige agréable nous a conduits à nous décaler à l’avance dans le bon sens. Partir tôt, rentrer tôt, coucher tôt.
Recette parfaite.
Emportés dans notre élan, persuadés que c’était le moment (ou l’heure), nous avons même changé d’heure …une semaine trop tôt !
De retour à la maison, tout fut prêt en une soirée. Pendules, montres, four et programmateurs recalés pour la nouvelle heure.
Qu’est-ce qu’on était contents !
Sauf que nous avions non seulement changé d’heure mais aussi changé de semaine. Tellement bons élèves que nous nous sommes trompés.
Car n’est-ce-pas avoir tort que d’avoir raison trop tôt ?
Depuis je navigue en heures troubles. Le travail m’oblige à me recaler une heure plus tard, mais mon temps biologique a déjà intégré cette impatience du lever, puisque le jour pointe derrière nos volets à sept heures nouvelle heure, à six heures ancienne heure.
J’observe toutes les pendules avec circonspection car après la découverte de notre erreur, mon compagnon a poussé la plaisanterie jusqu’à oublier de retarder son propre réveil, pour le remettre à l’heure d’hiver.
Lundi matin, chacun marchait donc à son heure personnelle, vivait sa saison individuelle.
Lui était toujours en été, la nouvelle heure à venir, et moi revenue en hiver, la nouvelle nouvelle heure, c'est-à-dire l’ancienne.
Qu’est-ce qu’on a ri !
D’ailleurs, quelle heure est-il ?

dimanche 23 mars 2014

G comme Ganagobie



19/3/14
G comme Ganagobie

Un jour, il faut gravir la colline du monastère de Ganagobie.
Y retourner vraiment, ou rêver de s'y rendre.
Reprendre le voyage là où on l'avait laissé.
Inventer la suite.
Parvenu sur le plateau, flâner dans le parc parmi les chênes verts et les pins.
Y passer la journée entière, prendre son temps.
Se perdre dans les multiples chemins et retrouver le hameau ruiné, s'il existe encore.
S'émerveiller devant le point de vue sans limite qui termine l'allée des Moines, juste à côté d'une immense croix blanche.
Contempler le portail festonné de l'église, qu'un arbre caresse de l'ombre de ses branches.
S'étonner devant les mosaïques rouges, noires et blanches qui décorent le sol du choeur.
Apercevoir les détours secrets du cloître, derrière la vitre discrète d'une fenêtre romane, ornée de fleurs.
Ou découvrir l'intérieur du monastère depuis l'intérieur de l'église.
Se demander ce qui est à l'intérieur, ou à l'extérieur de quoi.
Dans l'obscurité de l'église, demeurer captivé par la lumière blanche du cloître.
Distinguer ces frontières, fragiles et légères, entre des espaces clos.
Non, on ne visite pas.
On devinera au loin, là-bas, la robe noire d'un moine refermant derrière lui la grande porte du monastère.
Ganagobie, c'est ailleurs, c'est un autre temps, c'est un autre monde.
Quand je serai grande, je reviendrai à Ganagobie.